Approche communicative, (Mémoire de DEA, E. Duchiron, Paris III, La Sorbonne Nouvelle, 2003, pp. 7 à 17)
1. L’ENSEIGNEMENT / APPRENTISSAGE DES LANGUES AUJOURD’HUI
1.1. L’approche communicative
1.1.1. A l’origine de l’approche communicative : des besoins
L’enseignement / apprentissage des langues actuel s’inscrit dans le cadre de l’approche communicative qui date du début des années 1970 dans un contexte de construction progressive de la Communauté Européenne. Devant des échanges en forte augmentation et un besoin croissant de communiquer, le Conseil de l’Europe a mené une réflexion sur la nécessité d’un enseignement des langues plus efficace, « à la hauteur des nouveaux besoins » (Martinez, 1996 : 69).
Comme l’explique Jean-Charles Pochard (1994 : 9), le développement de l’approche communicative a coïncidé avec une « demande sociale nouvelle » et l’apparition de publics non scolaires. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’est apparu le terme d’apprenant pour « désigner ces nouveaux enseignés qui ne pouvaient plus être ni élèves ni étudiants ». Dans ce contexte de besoins de communication accrus, les enseignants ont donc été amenés à s’interroger sur la façon dont ils pouvaient prendre en compte toutes ces variations individuelles, la personnalité et la motivation de chacun. Il leur a fallu également réfléchir à la manière de réévaluer les besoins de chacun au cours de l’apprentissage et adapter leur enseignement en fonction de ces variables.
Suite à la méthode directe qui utilisait une langue « terriblement descriptive » et à la méthode SGAV qui semblait se rapprocher d’une communication authentique mais dont les dialogues manquaient beaucoup de naturel, l’approche communicative a bénéficié d’une analyse de « corpus conversationnels réels qui firent apparaître diverses sortes d’implicites : linguistiques, culturels, comportementaux qui peuvent se manifester sous des formes verbales, intonatives ou gestuelles et leur corollaire : un certain nombre de ratés de la communication » (Pothier, 2003 : 29). On a donc redéfini les objectifs de l’enseignement / apprentissage des langues dans le cadre de l’approche communicative.
Comme l’explique Martinez (1996 : 82), l’introduction de l’approche communicative avait pour but de « faciliter la mobilité des hommes et leur intégration dans des sociétés dites ‘d’accueil’ ». En développant la connaissance réciproque des langues de la Communauté, on souhaitait ainsi instaurer un bien-être social et une bonne entente entre les différents pays membres. Ainsi, l’approche communicative est née du contexte politique, économique et social de la construction européenne. Bien que cela soit surtout vrai pour l’enseignement du français langue étrangère, l’enseignement de l’anglais dans le système éducatif français s’en est également trouvé affecté.
1.1.2. Les fondements théoriques de l’approche communicative
Comme l’explique Danielle Bailly (1998b : 40), l’approche communicative est basée sur les notions de « simulation ou [de] reconstruction directe de situations d’échanges langagiers authentiques ». Face à des besoins langagiers redéfinis dans cette période de communication et d’échanges accrus, l’approche communicative prévoit de fournir à l’apprenant les « outils de langue [correspondant à ses] besoins informationnels, pragmatiques, expressifs, qui sont les siens compte tenu des caractéristiques de l’interaction concernée ».
L’approche communicative s’appuie donc sur les théories cognitivistes et constructivistes de l’enseignement / apprentissage des langues, même si elle a adopté une orientation plutôt sociolinguistique à ses débuts. Il semble, en effet, que la didactique des langues ait souffert d’une réputation de non-scientificité et d’illégitimité à une certaine époque (Pothier, 2003 : 20).
Cognitivisme &
constructivisme
Deux éléments clés caractérisent l’approche cognitiviste de l’apprentissage : d’abord l’apprentissage est conçu comme un « processus de construction des connaissances et non pas comme un processus d’acquisition », ensuite, « les activités d’enseignement sont des activités d’aide à la construction des connaissances et non pas des activités de transmission des connaissances » (Legros et al., 2002 : 28). Comme nous le montre cette définition, la conception de l’apprentissage sous-tendant l’approche communicative renvoie au constructivisme qui est devenu une référence incontournable dès qu’il s’agit de théories de l’apprentissage, même si le terme correspond souvent à des points de vue différents.
« Le constructivisme s’appuie sur l’idée que la réalité du monde se construit dans la tête de l’individu à partir de son activité perceptive sous forme de représentations mentales ou modèles du monde » (Legros, et al., 2002 : 30). Dans cette définition, les auteurs insistent sur le rôle du contexte « de la vie réelle », « du monde dans toute sa complexité sociale ». Il apparaît en fait que l’apprenant construise sa connaissance à partir des interactions qu’il a avec les autres et le milieu socioculturel dans lequel il se trouve.
Lev Vygotski a profondément contribué au développement de nouvelles théories de l’apprentissage, en particulier en ce qui concerne les enfants. Par le biais de ses recherches, Vygotski s’est employé à montrer que l’apprentissage met en jeu à la fois des facteurs internes, biologiques et le milieu dans lequel l’apprenant évolue. Selon Rabardel (1995 : 35-36), le processus que Vygotski décrit est à la fois « unitaire et complexe » : « le comportement d’un adulte contemporain, culturellement évolué, est le résultat de deux processus différents de développement psychique. (…) Il s’agit, d’une part, du processus d’évolution biologique qui mène à l’apparition de l’homo sapiens, d’autre part, du processus de développement historique à travers lequel l’homme primitif a évolué culturellement ».
Vygotski a donc tenté de comprendre dans quelle mesure l’environnement influence l’apprentissage et a montré que le niveau de développement mental de l’enfant ne suffit pas pour déterminer l’état de son développement. Il parle alors de « zone prochaine de développement »[1] qui correspond à « la disparité entre l’âge mental, ou niveau présent de développement, qui est déterminé à l’aide de problèmes résolus de manière autonome, et le niveau qu’atteint l’enfant lorsqu’il résout des problèmes non plus tout seul mais en collaboration » (Vygotski, 1997 : 351).
C’est en fait cette zone proximale de développement qui détermine les possibilités d’apprentissage : « l’apprentissage n’est valable que s’il devance le développement. Il suscite alors, fait naître toute une série de fonctions qui se trouvent au stade de la maturation, qui sont dans la zone prochaine de développement » (Vygotski, 1997 : 355). Il pense en effet que l’apprentissage suit une évolution selon laquelle ce que l’enfant sait faire à un stade N avec l’aide d’autrui, il saura le faire seul au stade N+1.
Cette analyse amène donc à s’interroger sur la nature des activités que l’on propose à l’apprenant dans le cadre de la classe de langues. Il semble en effet qu’il serait préférable de le solliciter en fonction de son niveau de développement potentiel plutôt qu’en fonction de son niveau de développement actuel, c’est-à-dire, en visant les « compétences qu’il ne maîtrise pas encore mais qu’il est susceptible de mettre en oeuvre » (Arénilla et al., 2000 : 273).
Nous tenterons de montrer comment cette conception de l’apprentissage est envisagée dans les différents exemples de choix fourni que nous avons analysés.
La notion de compétence
de communication
L’approche communicative s’appuie également sur la notion de compétence de communication que l’on doit à Dell H. Hymes et qui a été reprise par la suite par nombre de didacticiens. Selon lui, « les membres d’une communauté linguistique ont en partage une compétence [de] deux types, un savoir linguistique et un savoir sociolinguistique ou, en d’autres termes, une connaissance conjuguée de normes de grammaire et de normes d’emploi » (Hymes, 1991 : 47). En ce qui concerne la langue maternelle, ces deux types de compétence s’acquièrent simultanément. « Un enfant normal (…) acquiert une compétence qui lui indique quand parler, quand ne pas parler, et aussi de quoi parler, avec qui, à quel moment, où, de quelle manière » (Hymes, 1991 : 74).
On imagine sans mal quelle influence les travaux de Hymes ont pu avoir sur la didactique des langues. L’approche communicative, dont l’objectif premier était de transformer la classe en un lieu de communication et d’interactions (horizontales et non exclusivement verticales), s’est directement inspiré du fait que les dimensions sociologique et culturelle ne sauraient être dissociées des aspects linguistiques (Pothier, 2003 : 31).
1.1.3. Les critiques suscitées par l’approche communicative
Cependant, il faut souligner que l’approche communicative a également soulevé un certain nombre de critiques dont celle formulée par Little (1997, cité par Lamy, 2001 : 132) : selon lui, « s’intéresser en priorité à la communication orale aux dépens de l’écrit et de la grammaire amène à négliger les aspects métacognitifs du processus d’apprentissage (…) c’est lorsque la structuration du langage et lorsque mes propres stratégies d’apprentissage de cette structure me deviennent conscientes que j’ai les meilleures chances de réussite dans la poursuite autonome de mon étude de la langue-cible et au-delà, d’autres systèmes linguistiques ». De la même manière, Cécile Poussard et Laurence Vincent-Durroux (2002 : 108) soulignent l’importance de prendre en considération à la fois le contact avec la langue et la réflexion sur cette même langue : « les deux sont également utiles en acquisition d’une langue seconde ».
Antoine Culioli et la communauté de linguistique de Charles V à sa suite ont largement contribué au développement des concepts de métacognition et plus spécialement d’activités métalinguistiques. Celles-ci renvoient aux « activités de réflexion sur le langage et son utilisation et les capacités du sujet à contrôler et à planifier ses propres processus de traitement linguistique » (Bailly, 1998b : 163).
La métacognition s’avère être assez proche de la notion de « prise de conscience » qu’utilise Piaget pour analyser le passage de l’intelligence pratique à l’intelligence abstraite. « La prise de conscience permet d’effectuer le passage du ‘réussir’ au ‘comprendre’, pour reprendre les termes piagétiens, indispensable en particulier à la réutilisation des compétences construites dans des contextes différents de ceux de l’apprentissage, c’est-à-dire leur transfert » (Grangeat, 1997 : 17). Cette conception métacognitive de l’apprentissage se situe dans une perspective où le sujet est « constructeur et non consommateur de savoirs », ce qui lui donne une certaine autonomie dans son propre progrès et donc dans ses apprentissages.
Une démarche métacognitive s’inscrit également dans un processus de découverte de soi et de prise de confiance en soi de l’apprenant. S’il n’est pas autonome dans son apprentissage, l’apprenant ne sera pas non plus autonome dans son environnement, dans le milieu dans lequel il évolue.
Grâce à une « participation cognitive très active des élèves », on vise à leur « faire prendre conscience (…) du fonctionnement langagier » (Bailly, 1998b : 49). Une telle procédure se caractérise par une pédagogie de l’explicite et constitue, selon Danielle Bailly, une manière « passionnante » de parler de formes grammaticales, en les intégrant à l’analyse des aspects lexicaux et civilisationnels du document.
Notre étude s’inscrit dans cette approche de l’apprentissage et nous allons tenter de montrer comment le choix fourni peut constituer une aide précieuse dans le cadre d’une démarche métacognitive, malgré le fait que le concept « [ne soit] pas encore très opérationnel à l’école » (Grangeat, 1997 : 13).
1.2. Lignes de force de l’approche communicative
Le but de l’approche communicative est d’impliquer l’apprenant dans une communication orientée, c’est-à-dire « lire avec l’intention de s’informer, écrire avec l’intention de satisfaire un besoin d’imaginaire, écouter avec l’intention de connaître les désirs de quelqu’un, parler avec l’intention d’exprimer ses propres sentiments » (Germain et LeBlanc, 1988, cités par Martinez, 1996 : 77).
Pour ce faire, l’approche communicative regroupe plusieurs lignes de force qui la caractérisent et que nous allons développer maintenant : premièrement, un des concepts clés de l’approche communicative, c’est la centration sur l’apprenant, avec ce que cela comporte en termes d’autonomisation, de différenciation et de motivation. Ensuite, nous verrons l’importance de la dimension sociale et des interactions dans l’enseignement / apprentissage des langues d’aujourd’hui. Ce contexte d’apprentissage favorise donc un retour au sens, avec le débat sur les documents authentiques et l’accès aux ressources. Enfin, nous verrons le rôle de l’enseignant dans ce contexte d’apprentissage dont le but ultime est d’apprendre à l’apprenant à communiquer.
1.2.1. La centration sur l’apprenant
L’approche communicative met très nettement l’accent sur l’apprenant en tant qu’« acteur autonome de son apprentissage » (Martinez, 1996 : 76). Cette approche est tout à fait représentative d’une responsabilisation de l’apprenant accompagnée d’une « conscientisation » de son apprentissage. L’objectif ultime est donc de rendre l’apprenant le plus autonome et le plus responsable possible de son apprentissage.
Selon Robert Bouchard (1995 : 397), cette prise de conscience des différences individuelles des apprenants s’est faite dans un esprit d’enseignement que l’on voulait « moins monolithique et universaliste ».
Dans cette optique d’autonomisation et d’individualisation, Philippe Meirieu (2000 : 135) a joué un rôle très important en prônant une pédagogie différenciée qui se caractérise par une certaine « flexibilité ». Selon lui, c’est un moyen de multiplier « les chances de réussite, puisque l’on offre aux apprenants une palette de propositions et de simulations grâce auxquelles ils peuvent se construire leur propre stratégie ».
Cette flexibilité se matérialise par une alternance non seulement entre temps d’apprentissage différenciés et non différenciés mais également entre différenciation simultanée et successive (Meirieu, 2000 : 125). L’apprenant se trouve donc face à une façon de travailler rigoureuse, « en se fixant des objectifs, en s’interrogeant régulièrement sur ses besoins, en recherchant les meilleures conditions d’apprentissage et en tirant les conclusions du résultat de ses évaluations (…) l’organisation de la séquence respecte la personnalité de chacun sans l’enfermer dans un donné, s’inscrit dans son histoire et lui permet de la subvertir » (Meirieu, 2000 : 143).
Philippe Meirieu ne prône pas une « pédagogie différenciée statique qui confinerait à l’enfermement ». Bien au contraire, il défend le croisement progressif des apprentissages : « il faut (…) renoncer à concevoir la différenciation de la pédagogie comme la mise en place mécanique d’un système éducatif où la programmation de différentes variables conduirait à définir avec certitude à chaque instant, la solution unique optimale » (Meirieu, 2000 : 126).
Le but de cette démarche d’individualisation consiste à mobiliser la motivation de l’apprenant, qui est le « facteur clé de la réussite de l’apprentissage des langues » (Brodin, 2002 : 175). Comme le rappelle Jean-Paul Narcy (1990 : 43), la mémoire est « sans aucun doute liée à l’émotionnel de l’individu, c’est donc en le motivant et en l’impliquant positivement dans son apprentissage qu’on l’aidera à bien mémoriser !… »
Cependant il existe différents types de motivation. Huitt (1998) oppose les apprenants qui ont pour motivation la maîtrise d’un sujet (« mastery goals ») à ceux qui ont pour motivation la performance (« performance goals »). La deuxième catégorie est motivée à ne pas échouer et pour cela, soit ils vont choisir une tâche à leur niveau pour être sûrs de réussir, soit ils vont choisir une tâche au-delà de leur niveau de développement potentiel pour avoir une bonne raison d’échouer. Au contraire, la première catégorie d’apprenants est motivée par le succès. Ils vont donc choisir une tâche qui va se trouver dans leur zone proximale de développement, qui sera intéressante et qui représentera un défi pour eux. Dans le cas où ils réussissent, le succès est d’autant plus valorisé.
Ce facteur de la motivation doit être d’autant plus pris en compte et analysé que l’on développe la responsabilisation de l’apprenant dans la didactique des langues actuellement. Le comportement de chacun face à une tâche, qu’elle soit sur support papier ou sur support numérique, peut être très révélateur des pratiques de classe à mettre en place.
D’un point de vue psychologique, la motivation regroupe des « processus physiologiques et psychologiques responsables du déclenchement, de l’entretien et de la cessation d’un comportement ainsi que de la valeur appétitive ou aversive conférée aux éléments du milieu sur lesquels s’exerce ce comportement. (…) La motivation permet aussi aux individus humains d’ajuster leur comportements, au moyen d’évaluations, d’anticipations et de corrections, de façon à s’approcher le plus près possible du but désiré » (Bloch et al., 1993 : 480).
Or, il apparaît que dans un contexte de violence et d’échec scolaire, la motivation diminue et les ambitions s’en trouvent elles aussi réduites. Il existe plusieurs façons de redonner la motivation à un apprenant mais elle sera extrinsèque la plupart du temps et donc éphémère, seulement tant que les apprenants sont sous contrôle de l’enseignant (Huitt, 1998).
Dans la perspective de centration sur l’apprenant, d’autonomisation et de différenciation de l’apprentissage dont nous venons de parler, la motivation joue en effet un rôle crucial. Nous tenterons de montrer plus loin la place que les Technologies de l’Information et de la Communication peuvent jouer dans ce contexte. En effet, nul ne peut ignorer la motivation, voire même l’acharnement que peuvent montrer certains apprenants face à un QCM qui peut paraître rébarbatif et sans intérêt pour beaucoup. Quel est l’apport potentiel du choix fourni ? Comment rendre l’exercice de QCM moins rébarbatif et le doter d’un intérêt pour l’apprentissage, si c’est un moyen de remotiver les apprenants ?
1.2.2. La dimension sociale
Une seconde ligne de force de l’approche communicative concerne les interactions dans la classe. Selon Legros (Legros et al., 2002 : 32), « la pensée n’est pas une activité qui se situe dans la tête de l’individu, mais plutôt dans les connexions et les interactions entre, d’une part, les individus humains et, d’autre part, les objets du monde qui constituent ainsi des outils cognitifs d’aide à la construction des connaissances ».
Rappelons la définition de la notion d’interaction telle que Goffman l’a donnée (Goffman, 1973 : 23) : « par interaction (…) on entend à peu près l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres ».
La conception constructiviste de l’apprentissage telle que nous l’avons décrite dans notre cadre théorique se rapproche de l’approche interactionniste de Catherine Kerbrat-Orecchioni (1990 : 23) selon laquelle on peut « considérer que le sens d’un énoncé est le produit d’un ‘travail collaboratif’, qu’il est construit en commun par les différentes parties en présence –– l’interaction pouvant alors être définie comme le lieu d’une activité collective de production du sens, activité qui implique la mise en oeuvre de négociations explicites ou implicites, qui peuvent aboutir ou échouer ».
La prise en compte de cette dimension interactionnelle du discours amène à reconsidérer le contenu de l’enseignement / apprentissage des langues. En effet, il semble intéressant de noter que les représentations ont changé. Nous avons déjà parlé du fait que savoir une langue aujourd’hui, c’est savoir communiquer mais c’est aussi en connaître la règle du jeu. Il ne suffit pas de connaître le système linguistique, il faut aussi savoir utiliser la langue de manière appropriée, en fonction du contexte social.
L’analyse des interactions en classe a en effet montré comment fonctionne le discours de la classe de langues, comment on accepte ou non le discours de l’autre, les spécificités et les variétés du discours de chacun (avec la notion d’« interlangue »), ou encore le bien-fondé de la communication dans la classe avec la notion de « contrat » et de « négociation » (Martinez, 1996 : 76).
1.2.3. L’authenticité
Une troisième caractéristique de l’approche communicative se manifeste par un retour au sens, avec le débat bien connu autour du document authentique. Danielle Bailly (1998b : 70) définit le document authentique comme « un document ‘brut’ de la culture-cible, conçu dans son cadre d’appartenance par un autochtone pour s’adresser à un / (d’)autre(s) autochtones, chargé donc d’une finalité et d’une fonctionnalité pragmatiques directes ».
Le débat autour du document authentique a fait couler beaucoup d’encre. Les supports authentiques sont supposés être plus motivants, plus à même de susciter l’expression personnelle de l’apprenant. De plus, ils semblent plus appropriés à l’usage langagier réel et par là-même, de nature à amener l’apprenant à réfléchir sur les conditions sociales et culturelles de leur production, dans la mesure où ils « [ancrent] la langue dans une réalité culturelle authentique » (Quivy et Tardieu, 1997 : 83). Ces documents ont en effet une dimension culturelle inhérente à leur nature, et malgré leur difficulté de compréhension accrue, ils permettent un « réinvestissement expressif » en phase d’approfondissement d’une séquence pédagogique (Bailly, 1998b : 72).
Cependant, Danielle Bailly nuance les mérites du document authentique qui, selon elle, a tendance à éveiller une dimension un peu « magique ». L’utilisation d’un document authentique ne signifie pas nécessairement une exploitation adaptée et pédagogiquement en phase avec les concepts didactiques actuels : « pour enseigner à communiquer en langue étrangère, c’est-à-dire une langue en contexte, en situation, il ne suffit pas d’avoir des documents authentiques » (Béguin et Garcia, 1995, cités par Bailly, 1998b : 71).
Aujourd’hui, il semble que le débat ait un peu évolué vers la notion de ressources. A en croire le colloque « Notions en Questions » qui s’est tenu à Lyon le 12 juin 2003, le débat sur le document authentique est plutôt révolu et on s’oriente vers la question de l’accès aux ressources. Quel est la statut d’une ressource ? Est-ce une ressource pour l’apprenant ou pour l’enseignant ? La ressource amène-t-elle à la tâche ou bien la tâche est-elle construite autour de la ressource ? La ressource n’est-elle qu’une excuse à une tâche donnée ? Quelle utilisation en fait-on ? Quel guidage lui apporter ?
C’est une problématique qu’il semble intéressant de garder à l’esprit lorsque l’on visionne des logiciels de langues à l’heure actuelle. Sur quelles ressources s’appuient-ils ? Quelle exploitation en font-ils ? C’est une question à laquelle nous tenterons de nous attacher dans l’analyse des exemples de choix fourni.
1.2.4. Toutes ces caractéristiques pour une finalité : créer une compétence de communication
Finalement toutes ces caractéristiques convergent vers un but commun : créer une compétence de communication chez l’apprenant. D’un point de vue psycholinguistique, la communication langagière désigne « la circulation d’information (verbale et, le cas échéant, non verbale) impliquant émetteur, récepteur, canal (ou mode), message et induisant un effet sur les sujets qui en sont les acteurs » (Bailly, 1998b : 43).
Le but ultime de l’approche communicative étant de « permettre la communication et l’échange hors de la classe » (Pothier, 2003 : 31), le rôle de l’enseignant est donc de créer le besoin de communiquer chez l’apprenant. C’est à lui de lui « donner envie de se raconter, l’encourager à observer, à dépasser l’explicite et à s’impliquer, c’est-à-dire, à donner son avis personnel sur un texte, une image, une phrase, des personnages, un événement d’actualité ; c’est le solliciter à prendre part, à faire preuve de sens critique, [le pousser] à des échanges, etc. » (Ott-Richard, 1991 : 26, citée par Bailly, 1998b : 43).
Pour cela, Denis Girard (1995 : 65) répertorie quelques « procédures pédagogiques » qui visent à développer la compétence de communication chez l’apprenant : « initiative laissée d’abord aux élèves, discrétion attentive et vigilante du professeur, pédagogie de la découverte, de l’‘information gap’ au ‘problem solving’, pratique systématique de l’anticipation en lecture comme à l’audition, exploitation langagière de l’ambiguïté et du flou de certains documents iconographiques comme du non-dit et du caractère polémique des textes. (…) L’aptitude à communiquer se développe surtout à travers des tâches motivantes qui entraînent la participation active par la responsabilisation qu’elles impliquent ».
Jean-Paul Narcy (1990 : 31) va plus loin du point de vue de l’apprenant en proposant une liste de « sous-capacités sous-jacentes [qui doivent devenir] routinières ou automatiques [pour ensuite être] accomplies sans que le sujet y prête une attention consciente ». On retrouve là les deux types de connaissance définies par Faerch et Kasper (1986, cités par Narcy, 1990 : 37) : la connaissance déclarative et la connaissance procédurale. La première regroupe ce qui est de l’ordre du savoir. Ce type de connaissance est statique car elle n’est pas considérée dans son emploi en temps réel, dans une situation de communication. Pour ce qui est du deuxième type de connaissance, il s’agit des savoir-faire, des procédures mises en œuvre pour utiliser les connaissances déclaratives. Or, pour développer sa compétence langagière, l’apprenant doit procéduraliser ses savoirs déclaratifs, de telle sorte que « le fonctionnement des capacités opératoires soit ‘routinier’ ou ‘automatique’, c’est là une des priorités de l’apprentissage d’une langue étrangère » (Narcy, 1990 : 37).
Jean-Paul Narcy (1990 : 33) définit un certain nombre de capacités opératoires qui entrent en jeu lors de l’apprentissage d’une langue. Nous nous proposons d’en rappeler quelques éléments ici.
L’apprenant doit savoir anticiper, c’est-à-dire « prévoir le déroulement et le contenu d’un échange en fonction du contexte et du sujet de l’échange ». Cette phase permet à l’apprenant de mobiliser ses connaissances antérieures et d’émettre des hypothèses quant au contenu du document et par là-même d’être mieux à même de comprendre le sens du message.
Ensuite, il doit pouvoir repérer les éléments d’information principaux et cela implique de savoir « percevoir des signaux sonores et les séparer en informations pertinentes et en bruits non informatifs », savoir « découper le continuum phonique en unités significatives, ce qui exige que le cerveau sache bien identifier les sons » et enfin savoir reconnaître « les schémas sonores en s’appuyant sur le rythme propre de la langue ». Ce repérage peut également comprendre la prise de notes.
Après avoir identifié les éléments principaux du message, l’apprenant doit pouvoir les classer, faire des prédictions et émettre des hypothèses ; cela en analysant « les segments formels pour y trouver des unités significatives, afin ensuite de les structurer en une succession de signes formels pertinents en fonction de leurs positions relatives. Cette déconstruction, suivie d’une reconstruction qui permettra l’interprétation, se fait en fonction des hypothèses émises lors de l’anticipation ». Pendant cette phase d’apprentissage, l’apprenant devra également mettre à profit ses capacités passives de reconnaissance lexicale, syntaxique, morphologique et pragmatique qui lui permettront « d’interpréter les sens des mots (lexique), leurs positions (syntaxe), leurs formes (morphologie), afin de déterminer le sens de l’énoncé en fonction des règles du discours dans un contexte donné (pragmatique) ». L’analyse du contexte lui permettra de « s’assurer que l’interprétation du connu est bien conforme au contexte afin de ne pas interpréter de façon erronée ».
L’apprenant doit aussi savoir compenser ce qu’il ne comprend pas, c’est-à-dire, « en fonction de ce qui a été anticipé, et des données obtenues, [savoir] interpréter au-delà de ce que les simples reconnaissances lexicale, syntaxique, morphologique et pragmatique du sujet lui permettent ».
Ensuite, l’apprenant devra mémoriser les acquis de la séquence, aussi bien d’un point de vue du fond que de la forme du message.
Enfin, une fois le message compris et mémorisé, l’apprenant devra pouvoir en faire la synthèse en réinvestissant les acquis, c’est-à-dire « regrouper les informations obtenues par le fonctionnement des diverses capacités pour interpréter correctement le message perçu. (…) Elle rend possible l’organisation d’un ensemble cohérent ». L’apprenant sera alors à même de formuler et d’articuler la production ainsi organisée.
Ces quelques éléments amènent à s’interroger sur le rôle de l’enseignant. Comme nous l’avons vu, apprendre une langue étrangère, c’est apprendre des savoirs linguistiques sur cette langue mais aussi acquérir des savoir-faire qui permettront à chacun de communiquer à tout moment. Le rôle de l’enseignant consiste donc à solliciter un maximum de ces opérations mentales chez l’apprenant de telle sorte qu’il puisse les réinvestir de manière plus ou moins consciente. L’apprenant pourra ainsi déployer des stratégies d’apprentissage qui seront transférables à d’autres matières et surtout en dehors du système scolaire, pour enfin développer cette compétence de communication visée.
Nous nous proposons de voir maintenant en quoi les Technologies de l’Information et la Communication peuvent constituer un apport intéressant au cadre théorique que nous venons de définir.
[1] Traduction adoptée par Françoise Sève dont elle s’explique (Vygotski, 1997 : 39). Pour ZPD, on trouve également « zone proximale de développement » (terme que nous utiliserons de préférence dans la suite de notre étude) ou encore « zone de proche développement » (Vergnaud, 2000 : 21-22).